
Je m'appelle Marie. J'aimerais être très synthétique. Faire un chemin de mots. Le récit minimum. Traversant. Juste la couture.
J'ai toujours tiré des fils. Relié des points. Comme une navette.
J’ai grandi (à Châteaulin, dans le Finistère) au dessus d'une boutique remplie de tissus à la coupe. De bobines. Et de machines à coudre, que mon père vendait en chinant de portes en portes (à Douarnenez ou à Briec) et sur les marchés (à Crozon ou à Audierne).
Est-ce de cette mercerie que me vient la manie de suivre le fil ?
Car, irrémédiablement : je remonte les traces. Je piste, je fouille. Je cherche à tirer (des lieux) des souvenirs chevelus, des oublis hachés.
Ou bien, cette manie vient-elle de mon goût de la marche (depuis toute petite, je marche beaucoup et partout, dans les rues, au bord du canal de l'Aulne, sur des montagnes et aux bords de terrains) ?
Une constellation de pas mène toujours quelque part. D'un point à un autre. On trace un sentier. La marche met au présent. Comme le documentaire.
Mon premier documentaire sonore s'intitule Vagabondages urbains. J'ai 21 ans. Il y a l'errance et le hasard au cœur de cet enregsitrement.
A 30 ans : je traverse la Bretagne à pieds de Vitré à Douarnenez. Sur le chemin, j'ai l'idée de ce documentaire là : Les Lits vides de Plourguernevel.
Puis Le Geste Magnétique est une émission sur la bande-magnétique, portée autour du cou comme un mètre-ruban ; on taille dans la bande.
Dans la foulée, je produis La Bouche d'ombre, où je piste la voix de Gilbert Maurice Duprez, une voix de la radio-de-nuit tombée dans l'oubli.
Puis il y a Le Manteau de Zagreb durant lequel Ivan Makar, le vieux tailleur croate installé à Pantin, me taille un costume. Il prends mes mesures tandis que je tâche de lui faire dévider son récit de vie. Sa pelote à lui.
Même morts nous chantons est une constellation qui relie des points géographiques : Loguivy-Plougras, Berlin et Monastir dans une quête étrange, qui devient magique.
Le cycle comprendra entre 2017 et 2022 :
- une première émission éponyme Même morts nous chantons;
- un article pour la Criée intitulé Play back;
- une performance nommée Recorded songs don't ever die;
- deux autres émissions baptisées Chanteuses;
- une pièce musicale Transportées (éditée en vinyle par Permanent Draft);
- une restitution d'archive à Monastir dont la trace est ici.
Puis je tire des lignes (duplex) dans Au bout de la ligne, sur les traces de Michel Godard. Je recrée la liaison. Le canal.
Puis je remonte le fil d'une chanson dans La Chanson de Mehdi, tube et mektoub. Tout comme dans Nos Pirateries.
Puis, j'arpente la mémoire d'une abbaye dans Frère et sœurs, journal d'une retraite librement inspirée par Charles de Foucauld.
Dans Les Pianistes, the last call ou la liaison dangereuse, je me prends à démêler les souvenirs sur les lieux du crime, dans un hameau des Quatre-Montagnes (Vercors) : les Glovettes. J'y mène une enquête ultra-locale. Avec un talkie-walkie. Sans fil. A l'issue de ce travail, collectivement on arpente l'oubli : Radio Royans Vercors laisse la trace de cette journée d'études Arpenter l'oubli, bâtie par Villa Glovettes et Prasore, sur le lieux du crime, à 1200 mètres d'altitude.
Les Nouveaux Contes de Cincu est un cycle commencé en 2023 en Transylvanie. C'est un récit sous forme de journal intime, qui, à la dérive, guidé par le hasard des rencontres, tisse, entre nos fantasmagories, les petites mythologies ordinaires, les plis de nos romans nationaux, ceux de la mémoire collective (et de ses oublis), un tableau étrange. Sur ce terrain, je travaille sur l'effacement. Cette fresque (une tapisserie ?) pittoresque est en cours. A suivre ma quête désespérée et solitaire à la recherche des saxons disparus à l'endroit où s'installe la base de l'OTAN, à Cincu, au coeur de la Transylvanie profonde.
Entre ces cases, je fais de la musique. Comme une rangée de points flottants, que je mets en connection : cette musique surgit souvent de mes terrains documentaires. Ou bien elle est reliée à une archive. Cantillation.
Je remercie Tim Ingold (cf. sa brève histoire des lignes) et Daniel Mendelsohn (cf. ses récits qui s'enroulent) pour leurs fils tendus : je les prends comme des invitations à ne jamais lâcher la via ferrata qui relie nos pas ordinaires, nos gestes insignifiants, nos tremblotements.
Contact : marieguerin@tuta.com
Instagram : @marie.de.la.nuit
Bandcamp : mariedelanuit.bandcamp.com
Soundcloud : marie guérin habilleuse